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Le designer russe Vladimir Plechanov raconte souvent cette histoire : « J’ai fait un rêve : New-York, des gratte-ciel, des rues strictement rectilignes… Tout est très haut et à angles droits. Soudain quelque chose de vivant apparaît dans cette géométrie inanimée ! D’abord quelques lignes, puis une forme. La créature accroche le regard, sur fond de gratte-ciel, et commence à bouger… Je vois seulement la partie avant et imagine déjà le reste. Je me réveille et je comprends :  je l’ai trouvée ».

Le matin suivant, Vladimir Plechanov réalise une première esquisse de celle qui deviendra plus tard le prototype Lada Rapan. Mais pour être complet, il faut reprendre l’histoire à son début.

Mikhail Markiev est ingénieur chez AvtoVAZ. En août 1994, dans le cadre d’un programme américain de soutien aux petites entreprises, il effectue un stage aux USA. On se demande bien comment les Américains ont pu associer VAZ à une petite entreprise mais Mikhail Markiev a été sélectionné pour deux semaines avec au programme des cours de techniques managériales et la visite de centrales électriques… Durant ces deux semaines, il demanda à ce qu’on lui montre quelque chose plus en rapport avec son profil car il ne se sentait déjà plus la force d’admirer le rêve américain... On s’est alors souvenu qu’avant d’arriver aux USA, Mikhail Markiev avait émis le souhait de visiter une usine de véhicules électriques. On l’a donc envoyé chez le constructeur de camions Freightliner à Portland où on lui a tout montré de la conception à la production finale. Et lors de la visite chez General Electric, on lui a montré avec fierté des manuels soviétiques des années 30 sur l’électrotechnique utilisés encore aujourd’hui !

Après son stage le chef du département de design d’AvtoVAZ, Mark Demidovstev a promu Mikhail Markiev responsable du bureau véhicules spéciaux et moteurs. Presque immédiatement, il lui a suggéré de « créer quelque de ce genre ». VAZ était en train de perdre à une vitesse vertigineuse ses positions sur le marché européen et n’avait pas de nouveaux modèles qui pourraient stimuler la demande. Par conséquent, la direction souhaitait « quelque chose comme ça ». Un truc qu’on pourrait amener à un salon européen pour faire parler un peu de la marque Lada.

Markiev avait reçu carte blanche : il pouvait recruter qui il voulait pour ce projet et les piloter à condition de faire une voiture spectaculaire. Il n’y a rien de mieux et nombreux sont ceux qui rêveraient d’avoir ce genre de conditions.

En 1994, General Motors n’avait pas encore présenté son célèbre projet « AUTOnomy », une plateforme fonctionnant à l’hydrogène et à l’électricité sur lequel pouvait reposer n’importe quel type de carrosserie. A l’époque on n’avait pas encore pensé que les batteries pouvaient servir de base au châssis et les voitures électriques produites alors en série (il y en avait déjà pas mal) n’étaient que des modèles à essence convertis où les batteries n’étaient pas situées là où il fallait d’un point de vue de la répartition des masses mais étaient là où elles trouvaient de la place.

Markiev a commencé par créer une plateforme universelle où les batteries étaient réparties en trois blocs installés dans le châssis. Compte tenu de leur poids élevé, le centre de gravité était ainsi déplacé autant que possible vers le bas. De nos jours, de la Tesla aux « copies » chinoises, les voitures électriques sont dans les grandes lignes toutes conçues sur ce principe. Le moteur était positionné transversalement devant l’essieu avant et la crémaillère de direction derrière celui-ci. Cela permettait de charger les roues motrices et offrait plus de liberté dans la manière d’agencer le système de refroidissement du moteur.

On remarque dans les dessins de cette plateforme, certaines formes caractéristiques de la carrosserie que l’on retrouvera plus tard sur des prototypes Lada. Ils montrent un style qui était alors à la mode chez de nombreux designers automobiles, non seulement en Russie, mais aussi en Europe. On parlait alors de biodesign. Ce style a disparu au début des années 90 et a rapidement été remplacé par un style « Techno » que Togliatti a également adopté. Le designer Evgueni Lobanov a appliqué les principes du biodesign dans des prototypes comme Elf et Gnome et ensuite sur la Kalina de série, inspirée par l’Opel Corsa.

C’est Vladimir Plechanov, un jeune et prometteur designer, qui a été invité à dessiner la future Rapan. Il avait également envisagé de suivre les principes du biodesign mais, pendant longtemps, il est resté prudent, n’ayant pas une image claire dans sa tête. La petite équipe mise en place par Mikhail Markiev avait la paix et n’était pas sous le contrôle de la direction. Mais cette liberté n’a fait qu’accroître leur responsabilité !

Donc, le designer avait rêvé de New-York. Initialement, le projet s’appelait ElCar 2000. Lors de la réalisation de la première maquette en plastiline, un autre designer, Valentina Novikova (elle était responsable du style de l’habitacle), a comparé les dessins de Vladimir Plechanov a des coquillages. Comme ceux que beaucoup d’entre nous ont, dans l’enfance, ramené de la Mer Noire. Le Rapana est un mollusque gastéropode ayant une « maison » étonnamment grande et la nouvelle voiture semblait être une petite « maison » confortable. Sur les photos elle parait énorme mais il faut savoir que la Rapan dépasse de peu les dimensions d’une Oka.

Trois maquettes intermédiaires ont été réalisées et Plechanov leurs a appliqué la forme originale des mollusques. En mai 1995, alors que la maquette définitive était prête tous les travaux sur la Rapan se sont soudainement arrêtés. Les ingénieurs et designers plus ou moins « libres » du projet Rapan ont dû travailler sur le projet du modèle « 23 » (VAZ-2123), qui quelques années plus tard donnera naissance à la Chevrolet Niva. A ce moment-là, ce n’était que le projet de la remplaçante de la Lada Niva. VAZ espérait la mettre en production rapidement et l’atelier de fabrication OPP avait même commencé à en fabriquer les premiers exemplaires. Mais la fièvre « Niva » n’a duré que deux ans et le bureau d’étude a pu reprendre les travaux sur la maquette roulante de la Rapan.

C’est l’Oka qui a fourni toutes les pièces du châssis. Mais une Oka Electro avec son moteur PT-125 et ses batteries nickel-cadmium fabriquées par l’Usine de Saratov. Au final il a fallu à peine plus de six mois pour fabriquer le prototype Rapan.

Ce prototype fourmillait d’un nombre étonnant d’idées originales. Par exemple, le volant avec en son centre le tableau de bord et l’airbag. Cette disposition rappelait le prototype Maserati Boomerang avec son volant à moyeu fixe intégrant les instruments de bord. Les énormes portières s’ouvraient dans le sens opposé à la route (une solution controversée mais spectaculaire), le désembuage du pare-brise était assuré par plusieurs petites buses d’aération dignes d’un dessin animé. En général, l’intérieur faisait d’ailleurs penser à un gros jouet que cela soit pour son aspect ou pour ses fonctionnalités. Les designers avaient été soit trop paresseux pour aller jusqu’au bout de leurs idées ou ceux qui avaient construit la maquette s'étaient simplifiés la vie… Même pour un concept-car, la qualité de réalisation prêtait à sourire comme les faux boutons sur la console centrale. La manière dont l’autoradio avait été recouvert d’une bulle translucide fixe est particulièrement admirable ! Comment était-il donc possible de la faire fonctionner ?

Le processus de construction avait été particulièrement suivis par Mark Demidovstev et Georguiï Mirzoev (le chef du bureau d’étude d’AvtoVAZ). C’est ce dernier qui a décidé que le Rapan était prêt pour son baptême du feu pour les grands salons automobiles internationaux. La voiture a été envoyée à Paris. Nous étions déjà en 1998.

Le prototype Rapan a été accueilli avec enthousiasme par les visiteurs du Mondial de l’Auto 1998. VAZ avait amené en France en plus du Rapan, le prototype VAZ-2120 Menedzher mais celui-ci est passé quasiment inaperçu. Valentina Novikova était également du voyage. Elle est rentrée très satisfaite car le Rapan avait été apprécié. Dans le journal « Sem Verst » elle a raconté la manière dont les étrangers avaient accueilli la voiture. Il se dit aussi que durant le salon quelqu’un a téléphoné à Georguiï Mirzoev et a crié dans le combiné : « Tout va bien pour Vali, Paris est à ses pieds ! ». Le Rapan avait également fait la couverture du magazine Za Roulem en novembre 1998.

On ne peut pas dire que cette présentation dans la capitale française a stimulé les ventes européennes d’AvtoVAZ qui se limitaient alors à la Niva et à la « Deciatka », mais il ne fait aucun doute que la marque Lada a fait parler d’elle.

Après Paris, le Rapan a été envoyé en… Italie ! Les producteurs de la chaîne de télévision italienne Rai Uno TV avaient demandé au constructeur russe de leur prêter le prototype pour le show annuel Cervelloni. Le chef du marketing, Alexandre Eguochine a accompagné la voiture et apparait même dans l’émission, timide, contraint et ne comprenant pas un mot d’italien. C'est un document extraordinaire que vous pourrez voir ci-dessous. Elle a donc fait un vrai triomphe alors que le biodesign n’était déjà plus à la mode. Mais Plechanov ne s’était pas trompé avec ses grands phares remontant sur les côtés de la carrosserie. Ils sont maintenant utilisés par de nombreux constructeurs automobiles.

Le Rapan est rentré de sa tournée européenne et pendant quelques mois il a été « mis de côté ». L’année suivante, le nouveau chef du design de VAZ, Sergueï Sinelnikov (qui avait pris ce poste peu avant le Salon de Paris) a ordonné de préparer le Rapan pour le Salon de l’Automobile de Moscou de 1999. La voiture a été repeinte dans une teinte métallisée vert-menthe et on a un peu rafraichi l’intérieur avant de partir pour Moscou. Ensuite il y a eu quelques expositions supplémentaires puis la voiture est restée assez longtemps dans le centre de design d’AvtoVAZ. A l’époque de Komarov, elle a été transférée au Musée Technique, dans le hangar qui abrite les anciens prototypes. Elle s’y trouve encore aujourd’hui.

L’histoire a une suite, même si elle n’est pas directe. Après la Rapan, Vladimir Plechanov a dessiné deux modèles de voitures de golf que VAZ aimait montrer à toutes sortes d’expositions. Mais Lada n’était pas fait pour ce marché. Peu avant de quitter l’usine, en 2000, Vladimir Plechanov est revenu au biodesign avec un projet portant le nom de Ramses. S’il n’a connu aucun développement par la suite, une maquette à l’échelle 1 a été fabriquée.

Un autre projet a été fait à la demande de Georguiï Mirzoev. Vous vous souvenez que VAZ s’était engagé dans la direction de l’hydrogène avec les prototypes Antel basés sur la Niva et la « Deciatka ». Georguiï Mirzoev voulait un véhicule original pour la prochaine itération du projet Antel. Il avait également en vue le fait que le modèle 2123 avait été perdu par VAZ en signant un contrat avec GM et qu’il fallait réfléchir à une Niva-3. C’est pour cela que Vladimir Plechanov a également dessiné quelques croquis qui n’ont rien donné en pratique.

Vladimir Plechanov est désormais loin de l’industrie automobile en général et de VAZ en particulier et Valentina Novikova continue de travailler au design de VAZ. Son stylo « traine » dans pratiquement tous les habitacles des derniers modèles Lada !

Légende des photos :

  • Le projet de la plateforme active qui a sert de base à la Rapan avait été imaginé par Mikhail Markiev dès 1987.
  • Les protoypes "Gnome" et "Elf" datant 1992-1994.
  • La maquette de l’ElCar 2000 à l’échelle 1.
  • La maquette en cours de réalisation.
  • Vladimir Pleshanov satisfait, assis dans la maquette d’étude ergonomique.
  • L’équipe de designers : Vladimir Plechanov, Valentina Novikova et Ilia Zharkov.
  • Peu à peu, le châssis tubulaire a été recouvert de panneaux en fibre de verre d’une complexité incroyable.
  • Au final la voiture ressemble à ce qui était prévu.
  • Les personnages principaux : Plechanov et Novikova.
  • La maquette roulante a été recouverte d’une peinture blanc nacré. C’était pas mal, même si cela ne ressemblait plus à un coquillage.
  • Le volant était original avec son moyeu fixe et son tableau de bord intégré et l’airbag.
  • L’intérieur de la Maserati Boomerang de 1972.
  • Les rétroviseurs extérieurs étaient particulièrement élégants.
  • Un dessin de l’agencement du prototype Rapan.
  • Le Rapan à Moscou en 1999.
  • Le Rapan sous le hangar du Musée technique de Togliatti.
  • Les voitures de golf dessinées par Vladimir Plechanov.
  • Le concept-car Ramses.
  • Le projet d’un nouveau tout-terrain dessiné par Vladimir Plechanov datant de 2001.

Lu sur : http://info.drom.ru/misc/51866/
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #VAZ, #Lada, #Rapan, #Prototype, #Design